Ingrid Knaepen est aide-soignante depuis vingt ans à la Seigneurie du Val Saint-Lambert, une maison de repos et soins située à Seraing. Ce petit bout de femme de 49 ans, flamboyante et viscéralement humaine, nous raconte son quotidien parmi les personnes âgées. Elle évoque des sujets aussi importants que la vieillesse, la maladie, la mort, l’accompagnement des familles ou encore les normes d’encadrement.
« Et vingt ans après, j’y suis toujours ! »
Le Guide Social : Vous lancer dans des études d’aide-soignante, c’était une évidence ?
Ingrid Knaepen : L’évidence c’était d’avoir un métier centré sur les gens. A la base je suis diplômée en secrétariat. Après l’obtention de mon diplôme, je me suis inscrite en première année d’infirmière. J’adorais ces études mais j’ai perdu mon papa lors de ma première année. J’ai eu cinq repêches et je n’ai pas voulu les repasser. C’est bête quand j’y repense…
J’ai arrêté mes études et j’ai travaillé pendant trois ans avec ma maman, dans son commerce. Puis j’ai eu des petits boulots mais comme ma vocation c’était d’avoir un métier centré sur l’humain, j’ai repris une formation d’aide-soignante à l’IPES, l’Institut Provincial d’Enseignement Secondaire Paramédical à Seraing. J’ai tout de suite accroché. J’ai fait mon premier stage au « Centenaire », une maison de repos et de soins, à Ougrée.
Le Guide Social : Quel souvenir gardez-vous de cette première immersion sur le terrain ?
Ingrid Knaepen : C’était bizarre… On m’a directement fait commencer à travailler au quatrième étage, là où étaient regroupés les patients atteints d’Alzheimer ou de démence. C’était dur… Mais en même temps, ça m’a permis d’être directement dans le vif du métier. J’étais super bien entourée. Les infirmières et les aides-soignantes m’ont énormément appris.
Après cette première expérience, j’ai travaillé pendant un an à la Résidence Chantraine à Montegnée, une maison de repos et soins qui dépend d’INTERSENIORS avant d’être affectée, ici, à la Seigneurie du Val Saint-Lambert à Seraing. J’étais perdue en arrivant car la maison de repos me semblait immense et le nombre de résidents très élevé en comparaison à la maison de repos d’où je venais. Pendant le premier mois, je n’étais pas bien, il m’a fallu du temps pour m’adapter. Lorsque mon contrat est arrivé à échéance, mon chef m’a proposé de rester. Et vingt ans après, j’y suis toujours.
Le Guide Social : La Seigneurie du Val Saint-Lambert dépend de la Résidence les Lilas S.A., vous pouvez nous en dire plus ?
Ingrid Knaepen : La maison de repos et soins dépend en effet de la société anonyme la Résidence les Lilas qui gère deux établissements pour un total de 149 lits. La Seigneurie dispose de 33 lits de maisons de repos et 41 lits de maisons de repos et soins (destinés à des patients plus dépendants), soit 74 chambres meublées. Au total, la Seigneurie compte 56 membres du personnel dont 25 aides-soignant.e.s.
« Pour moi le travail en maison de repos, c’est une vocation. Je suis très sociable, j’aime les gens »
Le Guide Social : Pourquoi avez-vous choisi le secteur des maisons de repos et soins et pas les soins à domicile ou le secteur hospitalier ?
Ingrid Knaepen : Quand j’ai fait mes études d’auxiliaire de soins, j’ai fait un stage comme aide-familiale à domicile et je n’ai vraiment pas apprécié. Je suis allée dans des foyers où l’hygiène laissait à désirer. La responsable a voulu m’engager au terme de mon stage mais je n’ai pas accepté. Après cette expérience, j’ai commencé à travailler en maison de repos et je n’ai plus jamais quitté ce secteur.
Le Guide Social : Qu’est-ce qui vous plait dans le travail en maison de repos et soins ?
Ingrid Knaepen : Pour moi le travail en maison de repos, c’est une vocation. Je suis très sociable, j’aime les gens. En tant qu’aides-soignantes et infirmières, on fait partie de la vie des résidents. J’adore les personnes âgées. Elles ont tellement de choses à nous apprendre. Et puis, je les aime physiquement aussi : j’aime leurs mains, leurs visages, leurs regards… Quand je les regarde, je me demande comment on sera à leur place… Je me dis aussi que ça pourrait être nos papas et nos mamans. La maison de repos c’est leur dernière demeure. Ce qui est vraiment dur pour eux c’est lorsque vient le moment de quitter leur maison : c’est un passage très douloureux.
Le Guide Social : Pouvez-vous nous décrire votre journée-type ?
Ingrid Knaepen : Nous effectuons deux poses : du lundi au vendredi, de 7h30 à 14h ou 15h36 et de 13h30 ou 14h30 à 21h00. Le week-end, de 7h à 13h30 ou 15h. Je travaille un week-end sur deux.
Quand nous faisons l’horaire du matin, nous commençons la journée par un rapport avec le chef pour faire le point sur les patients des quatre étages. Ensuite, nous les faisons déjeuner les résidents et nous faisons les toilettes jusque 11h- 11h30. Ensuite nous descendons les résidents à la salle à manger pour diner. Nous servons les repas avec l’aide de la cuisinière. Et nous aidons les résidents qui en ont besoin pour les repas. Après le diner, nous remontons les résidents dans leur dans leur chambre, et nous les changeons si nécessaire.
Concernant la pause de l’après-midi, nous préparons les chariots pour le souper. A 15h, c’est l’heure du goûter. Vers 16h00, un tour de change est nécessaire. Vers 17h15 : distribution des soupers et aide au repas. A 18h30, nous commençons les mises au lit jusque 21h00.
Le Guide Social : Vous prenez soin de combien de patients par jour ?
Ingrid Knaepen : Cela dépend du nombre d’aides-soignants et d’infirmiers ainsi que de la présence ou non de stagiaire. Je dirais que l’on fait entre 10 à 14 toilettes par pause.
« C’est vraiment important d’avoir ces moments privilégiés pour construire et renforcer le lien avec les résidents »
Le Guide Social : Avez-vous déjà eu envie d’arrêter ou avez-vous eu des moments de doute dans votre carrière ?
Ingrid Knaepen : Des doutes, oui mais je n’ai jamais voulu arrêter. J’ai vécu une situation particulièrement difficile qui m’a amenée à être à la fois à ma place d’aide-soignante mais aussi à la place des familles. Ma maman a commencé à avoir des soucis de santé et elle ne savait plus vivre seule. Elle a intégré la Seigneurie le 10 février 2020. Le 13 mars, c’était le confinement. Elle me demandait pour revenir chez moi car elle ne comprenait pas pourquoi tous les résidents étaient confinés. Mais je ne pouvais plus la reprendre. C’était très dur. Son état s’est dégradé : elle a eu une insuffisance cardiaque qui a nécessité une hospitalisation durant 21 jours. Je ne pouvais pas aller la voir. Le personnel de l’hôpital me l’a montrée seulement quand ils ont commencé la morphine… J’ai fait le nécessaire pour qu’elle revienne dans sa chambre et heureusement on a pu la faire sortir. Je ne sais pas sinon comment j’aurais pu faire mon deuil.
Quand j’ai dû recommencer à travailler, c’était vraiment dur ! Pendant un moment, j’ai évité d’aller dans sa chambre. Mes collègues y allaient spontanément à ma place. Et puis un jour, j’ai bien dû y retourner. La première fois, je me suis effondrée. Aujourd’hui, ça va mieux.
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