Marjorie Lelubre et Stéphanie Cassilde, deux chercheuses en sciences sociales spécialisées dans le secteur de la lutte contre le sans-abrisme en Belgique francophone, viennent de publier un article scientifique sur la manière dont les professionnels de terrain (assistants sociaux, éducateurs, infirmiers, psychologues, etc.) participent à la construction du métier de chercheur. Ce texte réflexif interroge de manière singulière et innovante les interactions entre les professionnels de terrain et les professionnels de la recherche. Les deux scientifiques nous résument leurs propos.
Quand elle a franchi pour la toute première fois les portes du Rebond, Marjorie Lelubre n’était pas « préparée ». Rien ou presque dans son cursus initial de jeune chercheuse en sciences sociales ne l’avait formée à son futur terrain qui allait la plonger dans l’extrême précarité. C’était une journée de mars 2008, une de celles qui allait siffler la fin de la période hivernale. Dans les milieux de lutte contre le sans-abrisme, ce moment de l’année annonce une sortie de scène progressive. Les projecteurs s’éteignent. Les dispositifs d’aide se réduisent. Les élans de solidarité collective se raréfient. Les médias disparaissent et reviendront avec les premiers signes de grand froid. La pauvreté, elle, restera vissée aux corps et aux estomacs. Et c’est en coulisse que l’accompagnement quotidien des publics les plus fragilisés se poursuivra désormais.
Au centre d’accueil de jour de Comme Chez Nous, qui est coutumier de ces cycles saisonniers, la vie suit son cours. Personne ne semble remarquer cette jeune chercheuse de 25 ans. La salle est bondée, aucun visage familier. Douze ans plus tard, Marjorie Lelubre revient sur cet épisode en guise d’amorce : « Je me souviens très bien de ce premier jour. J’ai passé l’après-midi assise à une table à discuter avec les personnes accueillies. Les travailleurs sociaux se demandaient qui j’étais, on me prenait pour une stagiaire ». Elle n’imaginait pas, à l’époque, l’impact qu’allaient avoir tous ces professionnels de terrain sur la construction de ses pratiques et de son identité professionnelles en tant que chercheuse…